Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand
Evelina Domnitch (née en 1972 à Minsk en Biélorussie) et Dmitry Gelfand (né en 1974 à Saint-Pétersbourg en Russie) créent des oeuvres immersives faites à la fois d’expériences scientifiques, d’environnements multisensoriels et de questionnements philosophiques. Les installations et les performances du duo ont vu le jour grâce à des collaborations peu orthodoxes avec des groupes de recherche pionniers, notamment LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory – Observatoire d’ondes gravitationnelles à interféromètre laser), l’Atominstitut (TU Wien) et RySQ (Rydberg Quantum Simulators). Ils ont reçu le Japan Media Arts Excellence Prize (2007), le Meru Art* Science Award (2018) et cinq mentions honorifiques Ars Electronica (2007, 2009, 2011, 2013 et 2017). Leurs oeuvres ont été présentées au Martin-Gropius-Bau (Berlin), à Kiasma (Helsinki), au MAXXI (Rome), au AxS Festival (Los Angeles) et à la Biennale de Venise.
Lorsque nous avons engagé notre pratique artistique il y a une vingtaine d’années, nous avons établi diverses contraintes. Pour manifester notre prise de distance avec l’engouement ancestral de l’art vis-à-vis des objets figés, nous avons écarté l’utilisation de supports solides et fixés ainsi que des enregistrements, en faveur des liquides, des gaz et des plasmas imprégnés de vibrations acoustiques et d’émissions lumineuses. Nos contraintes conceptuelles ont finalement conduit à la création de Camera Lucida, Sonochemical Observatory (2003-2008), une oeuvre explorant le phénomène paradoxal de la sonoluminescence. Après avoir disparu dans l’obscurité impénétrable qui entoure l’installation, le visiteur perçoit progressivement un cosmos ondulant de champs sonores étincelants. Dans une chambre sphérique contenant 60 litres d’eau, les bulles d’air implosées acoustiquement se contractent cycliquement jusqu’à la taille de 100 nm quand elles atteignent des températures aussi élevées que celles que l’on trouve sur le Soleil, et émettent des éclairs de lumière de l’ordre de la picoseconde. Il n’existe pas encore de modèle probant rendant compte de l’amplification d’énergie par trillions sous-tendant la sonoluminescence.
Dans 10 000 Peacock Feathers in Foaming Acid (10 000 plumes de paon dans de l’acide moussant), 2007, nous sommes passés de l’effondrement des micro-bulles aux macro-bulles de savon. Lorsqu’un faisceau laser multicolore pénètre dans une membrane de bulle de savon (ancêtre chimique de la membrane lipidique de la cellule vivante), il se divise étonnamment en un faisceau de pistes optiques appelées solitons-polaritons. Pendant la performance, ces trajectoires du laser sillonnent les grappes de bulles hémisphériques, qui servent de lentilles aussi minces qu’une molécule pour une projection laser à 360°. Présentée dans des planétariums et autres environnements en forme de dôme, la projection enveloppe le public dans une insondable amplification de la dynamique électrochimique, optique et fluide au sein de la paroi sensible d’une bulle.
La mousse primordiale a refait surface en 2016 dans l’un de nos projets les plus complexes, Luminiferous Drift (Dérive luminifère). Développé en collaboration avec Jean-Marc Chomaz du Laboratoire d’hydrodynamique (École polytechnique Paris, France), Hui Lab (Université de Californie, Irvine), le Huck Group (Université Radboud, Pays-Bas) et le compositeur Richard Chartier, Luminiferous Drift envisage le climat d’une planète hypothétique méticuleusement délinéée par des protocellules bioluminescentes. Au moyen d’une puce microfluidique, on injecte une solution chimioluminescente régulée par une enzyme dans une membrane d’huile végétale. Les protocellules à double émulsion qui en résultent sont libérées dans un bain d’eau rotatif qui reconstitue le vortex polaire hexagonal de Saturne.
Autre évocation liquide de la dynamique céleste, ER = EPR (2017) est une collaboration avec LIGO (Caltech), Jean-Marc Chomaz et le compositeur William Basinski. Deux vortex corotatifs, réunis par un mince pont tourbillonnaire, dérivent dans un immense aquarium. Perçant la surface de l’eau, un faisceau laser expansé transforme la paire de vortex en une lentille en mouvement qui projette vers le haut deux trous noirs entourés de halos chatoyants. Les vortex peuvent entrer en collision (comme dans les détections d’ondes gravitationnelles de LIGO), et si le lien en « trou de ver » entre eux se déchire, les trous noirs se dissipent immédiatement. ER = EPR fait référence à l’hypothèse hallucinatoire de Juan Maldacena et de Leonard Susskind, assimilant trou de ver et enchevêtrement quantique.
Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand