Béla Tarr
Les neuf films réalisés par Béla Tarr entre 1979 et 2011 ont construit une des oeuvres les plus fortes et influentes du cinéma moderne. Jacques Rancière, qui lui a consacré un livre, voit en lui un artiste majeur du temps d’après la faillite de la promesse communiste, chez qui les longs plans-séquences parviennent à briser les cycles de la répétition grâce à l’attention accordée à la croyance intacte en une vie meilleure. Or cette oeuvre est désormais close. Le cinéaste hongrois a en effet décidé de prendre sa retraite après Le Cheval de Turin, en 2011. Béla Tarr intervient au Fresnoy en tant qu’artiste-professeur invité depuis 2016. Les images qui illustrent cette page sont issues des vidéos réalisées cette année par ses étudiants lors d’un atelier.
Une thématique : coffee with(out) cigarettes. Un lieu : le café Interville, à Roubaix. Tels furent les éléments de départ imaginés par Béla Tarr pour l’atelier destiné à la dizaine d’étudiants qu’il accompagna cette année au Fresnoy. Temps de concentration et de dérive au gré du réel et de l’imaginaire, histoires personnelles et collectives rassemblées en un film collectif. Si l’ensemble reste un exercice, les photographies issues de l’atelier témoignent d’un moment exceptionnel dans la vie du Fresnoy. Celui-ci confirme par ailleurs que rien n’est ici hors sol, ni laissé au hasard. Le cosmique — ce lien essentiel au monde — rejoint l’anecdotique. Placé sous le signe souterrain d’une chanson des Platters, Smoke Gets in Your Eyes, reliant les différentes parties du film, le coeur, invoqué dans la ritournelle, se consume au présent du cinéma et de la vie elle-même.
À ce précipité s’appliquent les mots de Jacques Rancière à propos des images à l’oeuvre dans les films de Béla Tarr : « […] Plus que toutes autres, ses images méritent d’être appelées des images-temps, des images où se rend manifeste la durée qui est l’étoffe même dont sont tissées ces individualités qu’on appelle situations ou personnages. […] Chaque moment est un microcosme. Chaque plan-séquence se doit d’être à l’heure du monde, à l’heure où le monde se réfléchit en intensités ressenties par des corps.* »
François Bonenfant.
* in Béla Tarr, Le temps d’après, Jacques Rancière, Paris, Capricci, 2011, p. 41.