Shānzài - Installation de Thomas Garnier

Shānzài

image de l'oeuvre Shānzài de Thomas Garnier

De Thomas Garnier, installation 2017

Quelque part dans un pays éloigné, des répliques de monuments émergent d’un hiver brumeux et toxique. Parmi eux un arc de triomphe de parc d’attractions, un château Maisons-Laffitte transformé en club pour riches excentriques, une tour Eiffel de banlieue résidentielle entourée d’une piste de course...

Tout d’abord déserts, ces lieux laissent planer le doute, développent une impression de familiarité singulière, évoquent une nostalgie déplacée et synthétique. Ils sont la manifestation même de « l’espace autre » hétérotopique tel que l’a imaginé Michel Foucault, un espace clos dans une société, qui obéit à des règles complètement originales.

Sur les écrans, l’aspect visuel du cliché de carte postale est renforcé par les points de vues fixes et frontaux qui transforment l’architecture en objet plat et sans relief, en décor de carton-pâte digne d’une scène de théâtre. Petit à petit, visiteurs, résidents, touristes, font sporadiquement irruption dans l’image. Progressivement, les mouvements de cette occupation humaine se font de plus en plus présents artificiellement. Des boucles de mouvements d’une poignée de secondes composent un réarrangement chorégraphique de l’espace-temps en crescendo jusqu’à la saturation visuelle et sonore totale.

Pour un fils d’expatriés atteint de déréalisation comme moi, le rapport à la culture française a toujours été quelque chose de vague, d’éloigné. Étrangement, je trouve ces copies de monuments plus tangibles que les originaux. Face à eux, je ressens un mélange d’appréhension, d’admiration, d’effroi et d’euphorie. Ces structures agissent pour moi comme des marqueurs d’effondrement de la valeur du réel, formes hybrides de vie quotidienne mêlées de simulacre, remix surréalistes des codes et des symboles sans aucune gradation. En somme, ils sont des monuments à la gloire du présent.

Shānzhài questionne la valeur symbolique, identitaire de l’architecture dans un monde dont les limites géographiques et culturelles sont en pleine dissolution.

Notre futur comprendra-t-il des usines titanesques qui assembleront à la chaine des versions bon marché de tours Eiffel et d’arcs de Triomphe à exhiber dans toutes les grandes villes du monde ?

Biographie de l’imaginaire En raison de ma formation, nombre de mes inspirations artistiques et intellectuelles proviennent de l’architecture. Dans ce domaine, je cultive un amour des extrêmes, qu’il s’agisse de travaux oniriques de l’Autrichien Friedensreich Hundertwasser et du Japonais Terunobu Fujimori, ou de ceux, à l’opposé, modernistes, utopistes, parfois brutalistes d’architectes comme Louis Kahn ou Ricardo Bofill. En y repensant cette attirance pour l’onirique et le brutal, le béton et l’organique, est ce qui m’a amené à étudier les espaces en ruines, isolés ou surréalistes. C’est aussi pourquoi j’ai exploré cette année la Chine, à la recherche de copies de monuments français éparpillées sur ce vaste territoire.

Praticien de l’image, formé aux logiciels et aux techniques de trucage numériques, ma démarche actuelle repose donc sur une hybridation de mes aspirations romantiques inspirées des peintres Hubert Robert ou Caspar David Friedrich et de mes espoirs utopiques insufflés par des studios d’architecture comme Archigram, Superstudio ou encore par la ville spatiale de Yona Friedman.

Je souhaitais profiter de cette première année au Fresnoy pour explorer un médium nouveau, celui de la vidéo. J’ai ainsi poursuivi ma démarche de collage, bien que cette fois en mouvement, tout en m’appuyant sur des techniques revisitées existant depuis l’aube du cinéma. En effet dès 1900 Georges Méliès se duplique lui-même dans L’Homme-orchestre et en 1980 Zbigniew Rybczyński joue de boucles temporelles dans une petite pièce dans « Tango ». D’un point de vue photographique j’ai été influencé par les clichés d’architecture du 19e siècle d’Édouard Baldus ainsi que par la sensation de néant que me procurent les images truquées de Nicolas Moulin dans son installation « Vider Paris ».

CITATION « On ne vit pas dans un espace neutre et blanc ; on ne vit pas, on ne meurt pas, on n’aime pas dans le rectangle d’une feuille de papier. On vit, on meurt, on aime dans un espace quadrillé, découpé, bariolé, avec des zones claires et sombres, des différences de niveaux, des marches d’escalier, des creux, des bosses, des régions dures et d’autres friables, pénétrables, poreuses. Il y a les régions de passage, les rues, les trains, les métros ; il y a les régions ouvertes de la halte transitoire, les cafés, les cinémas, les plages, les hôtels, et puis il y a les régions fermées du repos et du chez-soi. Or, parmi tous ces lieux qui se distinguent les uns des autres, il y en a qui sont absolument différents : des lieux qui s’opposent à tous les autres, qui sont destinés en quelque sorte à les effacer, à les neutraliser ou à les purifier. Ce sont en quelque sorte des contre-espaces. » Michel Foucault, Les Hétérotopies

Remerciements Thanks

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