Matin de Saint Antoine - Film de João Pedro Rodrigues
Matin de Saint Antoine
De João Pedro Rodrigues, film 2011
L’idée de ce film est partie d’une photo que j’ai prise avec mon portable, en rentrant chez moi par le premier métro à l’aube d’une nuit de Saint Antoine, le 13 juin. Le jour avant j’avais pris le dernier métro pour le centre ville. Le métro était plein. Garçons et filles appartenant à plusieurs tribus urbaines criaient de joie. Quelques-uns chantaient au son de tambours, d’autres dansaient ensemble. Ils buvaient d’étranges mélanges dans des bouteilles en plastique d’un litre et demi qu’ils échangeaient entre eux. Le dernier métro était le commencement d’une fête qu’allait durer toute la nuit. A l’aube j’ai pris le premier métro de retour chez moi, à 6h30. Le contraste ne pouvait pas être plus frappant.
Même si le métro était aussi plein que celui du soir, maintenant le silence était absolu. Plus que des gens, le métro transportait des corps épuisés, endormis, qui se réveillaient, comme par instinct, en arrivant à leur arrêt. Ils sortaient en marchant mécaniquement, toujours avec le même rythme et toujours silencieux. Sans se dire au revoir, comme si tous et chacun étaient seuls. Je suis descendu à mon arrêt habituel. En sortant du wagon je n’ai pas résisté à regarder par la fenêtre : j’ai vu une image semblable a beaucoup d’autres que j’avais déjà observé ce matin mais qui m’a semblé résumer, d’une certaine façon, cette étrange apathie. Dedans, trois garçons dormaient, deux assis en face l’un de l’autre, le troisième couché par terre, occupant en profondeur le couloir entre les banquettes. C’est cette image que j’ai prise avec le portable (voir photo). J’ai avancé vers la sortie, marchant derrière un groupe de garçons et de filles. Quand je suis arrivé dehors, j’ai regardé les autres sorties du métro. De toutes sortaient autres garçons et filles, marchant de la même façon, en silence, dans une ville qui dormait encore. Déjà dans la rue ils suivaient le chemin de leurs maisons, mécaniquement, avec un rythme alcoolisé qui dans ma tête se dessinait comme éminemment chorégraphique. C’était inévitable de ne pas penser aux chorégraphies géométriques de Buster Keaton ou Jacques Tati et, pourquoi pas, aux pièces de Pina Bausch. Arrivé chez moi, je suis allé à la fenêtre : une fille traversait très droite le jardin en face. Subitement elle s’est arrêté et s’est écroulée. Elle est restée couché quelques temps, s’est levée avec des gestes lents et a continué son chemin. J’ai pensé à une gigantesque chorégraphie en honneur de Saint Antoine, une espèce d’hommage inconscient à une des fêtes les plus populaires de Lisbonne.
MATIN DE SAINT ANTOINE est un film sans dialogues, construit de mouvements, gestes, cadences et rythmes. Même s’il y a un crescendo et un climat tout se passe en sous ton, comme les personnages du film qui évoluent tels des « zombies » à la recherche d’un abri. C’est un film qui développe un dispositif formel très précis, presque géométrique. Les acteurs sont filmés d’un point de vue plus haut, en plongé. Un des twists du scénario c’est précisément quand ce dispositif est clarifié à la fin et le spectateur comprend que ce point de vue est celui de l’énorme statue de Saint Antoine sur la place de Alvalade. C’est comme si la statue regardait tous ces garçons et filles qui rentrent à la maison après la fête de commémoration du saint de Lisbonne – même si cette fête maintenant est surtout païenne. Je ne veux pas, d’aucune façon, faire un film moralisant ou sociologique sur la jeunesse d’aujourd’hui, je vais essayer de saisir des comportements qui sont devenus banals mais qui, pour moi, restent envoûtés d’un fascinant mystère.
MATIN DE SAINT ANTOINE est aussi une vision personnelle d’un quartier de Lisbonne, Alvalade, tel que « China, China », le court métrage que j’ai co-réalisé avec João Rui Guerra da Mata, était notre vision d’un autre quartier, le Martim Moniz. Ce qui, en outre, m’intéresse c’est que ces lieux, avec leurs différences sociales, culturelles et architecturales, forment différents visages de la même ville et Lisbonne, une fois encore, offre un immense potentiel cinématographique et d’innombrables lectures.
Oeuvres de João Pedro Rodrigues produites par Le Fresnoy :
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