Yann Gonzalez
Yann Gonzalez est né en 1977 à Nice. La musique, la cinéphilie et l’amour des acteur.trice.s (parmi lesquel.le.s Kate Moran, Nicolas Maury, Vanessa Paradis, Niels Schneider ou Eric Cantona) sont au cœur de ses films, qui entrelacent les désirs et les genres, la couleur et le noir et blanc, le rêve et la mélancolie, la théâtralité et le romantisme. Depuis son tout premier court métrage, By the kiss, en 2006, le motif du baiser traverse son travail et infuse jusqu’à ses deux longs métrages, Les Rencontres d’après minuit en 2013 et Un Couteau dans le cœur en 2018. Comme si chacun de ses films proposait un collage plus ou moins narratif autour de l’étreinte et de ses variations tendres, inquiètes ou monstrueuses. Dans le cadre du Fresnoy, il explorera ses obsessions de manière plus radicale à travers un projet de porno musical.
Nous sommes des animaux rationnels. Notre premier réflexe en observant une œuvre d’art est d’essayer de la rationaliser, de la canaliser par nos connaissances et nos préjugés, cherchant à compenser l'effroi que l'art peut susciter. Le cinéma de Yann Gonzalez, au contraire, frappe à l'estomac, du côté le plus esthétique de l’être humain : il ne cherche pas à expliquer la société, les relations, la nuit – mais il nous invite à les ressentir. À l’opposé d’un cinéma toujours plus explicatif et sage, la nuit de Yann nous enveloppe de rouge et de bleu. Elle nous guide à travers les ombres des métropoles, lieux de tous les péchés que la ville même ne peut digérer.
Les références de Yann Gonzalez sont diverses et nombreuses. Il n’y a pas de « modèle à répéter », de cinéaste à imiter ; il y a l’art, et la volonté de s'en imprégner le plus possible. Alors, il le dévore et brise les références pour qu'elles infusent ses films. Ici et là, on retrouve traces et vestiges d'inspirations, toutes explicites et facilement identifiables. Mais, tel un mixeur sans couvercle, Yann Gonzalez imbibe, tache et répand ses idoles broyées dans un cinéma morcelé derrière lequel se cache l'évidence d'un auteur.
Le monde créatif de Yann Gonzalez est celui de la nuit. Une nuit où les corps se fondent au fil du récit, où le physique importe peu, voire pas du tout, face à la chair. Dans Les Îles, on voit comment un être difforme rejoint un couple au lit. Plus tard, dans le même film, on voit un parc devenir la scène d’une masturbation collective nocturne. Images violentes pour le spectateur dont les préjugés se confrontent à des séquences purement hédonistes. Il n’y a pas de différences dans le cinéma de Yann Gonzalez : le plaisir les unit toutes.
Si la fin de la vie est la jouissance, alors il n'y a pas place pour les pensées possessives. Ainsi, l’amour entre Anne et Loïs dans Un couteau dans le cœur ne peut s’épanouir car il implique la possession de l’être aimé ; tout comme Ali rappelle à Matthias, au début de l'orgie des Rencontres d'après minuit que "cette nuit, il ne peut être jaloux". Liberté de l'autodéfinition et de l'exploration de soi. Nous sommes les seuls à pouvoir nous définir en fonction de ce que nous ressentons, et les seuls à être maîtres de notre corps et de nos actes. Les étrangers sont, et seront toujours, les autres.
By the Kiss nous montre le phénomène de la passion en boucle : contre un mur, une femme accueille plusieurs amants sans avoir le temps de respirer. Le plaisir devient vite douleur. Elle n’accueille plus, elle subit. Le cinéma de Yann Gonzalez, comme un métronome, oscille entre douleur et plaisir. Encore et encore. Tout comme on peut parler, encore et encore ,de la nuit, du sexe, de la violence ou d'un underground par essence dionysiaque. On peut toujours continuer à vouloir étiqueter l'indescriptible et accueillir peu favorablement une expérience hyper-esthétique dont le plaisir est la fin ultime. Mais si vous connaissez le mot de passe, vous pourrez franchir le seuil et entrer dans ce lieu bizarre et unique où, dans le noir, votre part la plus charnelle et animale sera acceptée.
Vive la lubricité
Brais Romero Suárez