Edith Dekyndt
Edith Dekyndt (née en 1960, à Ypres, en Belgique) vit et travaille à Bruxelles et Berlin.
Expositions récentes : Kunstenfestival Watou, château De Lovie (Rectifier dans la version anglaise, NdT), Belgique, (2021) ; « You and I Don’t Live on the Same Planet », Biennale de Taipei, Taïwan (2021) ; Riga International Biennial of Contemporary Art, Riga, Lettonie (2020) ; « They Shoot Horses », Kunsthalle de Hambourg, Allemagne (2019) ; « The Black, The White, The Blue », Kunsthaus Hamburg, Allemagne (2019) ; « Convex, Concave, Belgian Contemporary Art », TANK, Shanghai, Chine (2019) ; Bienalsur, Bienal Internacional de Arte Contemporáneo de América (Corriger dans la version anglaise, NdT) del Sur, musée de l’Immigration, Buenos Aires, Argentine (2019) ; « Luogo e Segni », Punta della Dogana, collection Pinault, Venise (2019) ; Triennale de Beaufort, littoral belge (2018) ; « Viva arte viva », 57e Biennale de Venise, (2017) ; « Ombre indigène », Wiels, Bruxelles (2016) ; et « Théoreme des foudres », Le Consortium, Dijon (2015).
L’œuvre d’Edith Dekyndt se caractérise par une absence d’expressivité formelle, ce qui lui confère l’apparence du minimalisme, bien qu’elle n’ait que peu de liens avec ce courant. Depuis plus de vingt ans, Dekyndt travaille sans relâche à l’élaboration de processus lui permettant de dissoudre son intériorité dans son extériorité, comme si l’intime était un obstacle à franchir pour parvenir à une véritable compréhension du monde. Son travail est donc fondamentalement constitué d’expériences physiques et techniques à la fois neutres et très spécifiques. Neutres, car elles s’abstraient volontairement de tout élément « figuratif », fût-il biographique, sociologique, historique ou psychologique ; très spécifiques, car ces expériences visent à s’estomper dans la texture même des phénomènes qu’elles abordent, afin de les comprendre.
Ainsi, pour son exposition au Consortium de Dijon, Edith Dekyndt a intégré des éléments qu’elle associe à la Bourgogne, notamment le sol, qu’elle opposera à un paysage plus urbain lors du déplacement de l’exposition au Wiels, à Bruxelles ; la cristallisation sensible du vin, qui sera remplacée par la levure activant la fermentation de la bière ; et la couleur rouge, à laquelle seront substitués le vert du cuivre et le noir du goudron. Au Consortium, le ton rouge domine, en référence à la fois au vin et au retable représentant le Jugement dernier de van der Weyden aux Hospices de Beaune, auquel une couverture en laine rouge à moitié recouverte de feuilles d’or rendra hommage. Une série de toiles ont été maculées de sang animal, de caséine ou de vin prélevé à différentes étapes de sa transformation. Et bien qu’elles empruntent à la peinture son format, elles n’en parlent pas le langage. Comme beaucoup d’œuvres d’Edith Dekyndt, elles tentent de saisir le flux du vivant comme une transformation. Un drap de lit enterré pendant huit mois au fond de son atelier berlinois, ou un tableau enfoui depuis trois ans dans la terre ne témoignent pas de la fatalité de la dégradation et de l’érosion, mais rendent visible la puissance créatrice des échanges entre les matières. L’exposition s’achève sur la vidéo d’un tas de fumier, dont la fumée s’échappe dans la lumière du petit matin. L’image agrandie donne à ce tas de fumier un pouvoir d’évocation abstrait, entre champ de bataille juste après la guerre et essaim de micro-organismes.
Edith Dekyndt sonde les modes opératoires qui, en laissant s’exprimer des formes de vie invisibles, lui permettent de faire partie de ce que A. N. Whitehead appelle la « société universelle du monde ». Selon Whitehead, ce qui constitue le monde est un ensemble inséparable qui ne peut être compris que par une « immanence mutuelle[1] », dont l’accès est condamné par les frontières établies par le projet moderne. En essayant de dissoudre les limites que ces frontières ont tracées entre la subjectivité et la nature, l’apparence et la réalité, l’inerte et le vivant, Dekyndt prend part à un mouvement contemporain qui tente de réarticuler ce qui avait été séparé. Ces dernières années, les Presses du Réel ont entrepris la publication d’ouvrages théoriques guidés par un mouvement similaire[2]. Plutôt que de réaliser une exposition thématique, qui court sans cesse le risque de n’être qu’une illustration, il a été décidé d’inviter Edith Dekyndt, dont l’œuvre elle-même témoigne d’un changement de paradigme esthétique, fondé sur une nouvelle façon de songer à ce qui relie l’être humain à son environnement. Sous son apparente simplicité, l’œuvre d’Edith Dekyndt nécessite, pour être regardée, de repenser nos attentes et nos habitudes, afin d’entrevoir de nouvelles possibilités d’être au monde.
[1] Alfred North Whitehead, Modes de pensée, huitième conférence : « Nature vivante », Paris, Vrin, 2004.
[2] Pierre Montebello, Métaphysiques cosmomorphes. La Fin du monde humain ; L’Autre métaphysique ; Didier Debaise, L’Appât des possibles. Reprise de Whitehead ; Philosophie des Possessions ; Didier Debaise et Isabelle Stengers (éd.), Gestes spéculatifs, ouvrage collectif.