Félicie d’Estienne d’Orves
Née à Athènes en 1979, elle vit et travaille à Paris. Artiste plasticienne dont le matériau est la lumière, Félicie d’Estienne d’Orves s’intéresse aux sciences optiques et acoustiques, physiques et astrophysiques, aux sciences de la perception et de la cognition. Ses réalisations font appel à une connaissance phénoménologique du réel, interrogeant le processus de la vision et le conditionnement de notre regard. Son travail a été présenté dans différents lieux tels que : Centre Pompidou / Nuit blanche / Sorbonne Art Gallery / Le CENTQUATRE-PARIS, Biennale Némo (Paris) / ICAS (Dresde) / New Art Space / Sonic Acts (Amsterdam) / Watermans Arts Center (Londres) / Elektra Festival (Montréal) / Day for Night (Houston) / OCAT (Shanghai) / Aram Art Museum (Goyang / Corée du sud).
Décentrage, relativité et mouvement continu sont au coeur du projet artistique de Félicie d’Estienne d’Orves qui s’exprime dans le cadre d’installations et de performances par une mise à l’échelle d’espaces-temps distants, issus du domaine astrophysique.
Dans son travail, la lumière est à la fois l’outil et le sujet. Elle s’intéresse à la définition des limites de l’espace, physique et cosmologique, par la lumière et sa vitesse, comme dans la série « Étalon lumière » (2016) qui introduit l’idée de temps cosmique comme standard de mesure, un « temps lumière » programmé sur plusieurs milliers d’années suivant les éphémérides de la NASA dont les amplitudes variables soulignent l’impermanence de la mécanique céleste.
En land art, l’artiste utilise la lumière dense et rectiligne du laser pour rendre manifestes des relations de simultanéités à un instant et dans un lieu donné, entre le mouvement continu de la Terre et celui du cosmos : la performance audiovisuelle EXO (2015) lit le ciel en temps réel comme une partition de musique, ou encore dans les déserts d’Atacama (Chili) et d’Utah (États-Unis) par alignements de lasers sur des objets célestes du ciel profond.
Dans le cadre de ses projets, elle collabore avec des astrophysiciens et des planétologues, en particulier avec Fabio Acero du laboratoire AIM, CEA / Saclay spécialiste de supernova et de hautes énergies.
L’année à venir sera consacrée à un projet de recherche sur le coucher de soleil martien qui pourrait aboutir à la production d’une installation spécifique au Fresnoy.
Depuis les années 1970, les « rovers » martiens ont capturé des images du soleil couchant bleuâtre. La plasticienne collabore actuellement avec des spécialistes de l’atmosphère martienne à Pasadena (Caltech / Jet Propulsion Laboratory) et à Paris (Mars Climate Database / Jussieu). Le projet est une oeuvre audiovisuelle écrite en hommage à la Trilogie de la Mort de la compositrice Éliane Radigue, qui prendra la forme d’une performance en 2019 dans la salle des spectacles du Centre Pompidou.
Deep fields art. « Pour répondre à l’invitation du Fresnoy, j’aimerais proposer une réflexion autour de champs de perception ‹ profonds › que je qualifie de ‹ deep fields ›, qui dans la lignée des land artistes des années 70 offrent de nouveaux territoires d’exploration artistique. Le terme est emprunté à l’image du télescope Hubble ‹ Deep Field › ou ‹ Champ profond de Hubble › parue en 2016. Dans cette région du ciel en apparence vide, une fenêtre de quelques millimètres a révélé près de trois mille galaxies lointaines embrassant une perspective cosmique de plus de treize milliards d’années-lumière. Le HDF (Hubble Deep Field) est une photographie, une preuve visuelle d’une infinité des mondes* dont chaque galaxie contient des milliards de soleils. L’image témoigne d’autres dimensions du réel et projette littéralement la pensée vers de nouveaux horizons. Comment ces paysages décrits par l’imagerie et les modèles scientifiques construisent-ils nos perceptions qui sont désormais multiples, parallèles, ubiques ?
Comme le HDF pose la question de notre horizon cosmologique, les photographies des couleurs inversées du coucher de soleil martien altèrent notre perception d’un horizon immuable. Mars n’est pas une planète habitée, mais l’étude de son environnement et de son atmosphère est le point de départ de la recherche de signes de vie dans les systèmes extra-solaires. Il s’agit de construire des modèles de représentation pour compléter l’observation d’échelles plus lointaines. Un art interface qui mette à l’échelle du corps cette ‹ deep reality › ou encore le ‹ matérialisme de science-fiction › décrit par J.-P. Pharabod et S. Ortoli en 1984 au sujet de la physique quantique**. Un artiste arpenteur qui sonde les limites de l’espace ».
Félicie D’Estienne d’Orves
* « Nous affirmons qu’il existe une infinité de terres, une infinité de soleils et un éther infini. » L’Infini, l’Univers et les Mondes, Giordano Bruno, 1584.
** Le Cantique des quantiques : le monde existe-t-il ?, J.P. Pharabod et S. Ortoli, 1984.