Alain Guiraudie
Dennis Lim, à l'occasion de la rétrospective consacrée à Alain Guiraudie au Lincoln Center en décembre 2013 :
« Ouvertement gay, attiré par la vie rurale et la culture ouvrière traditionnelles de sa région natale de l'Aveyron et de ses environs, Alain Guiraudie fait entendre une voix singulière et unique dans le cinéma. Plusieurs de ses films, dont son succès de 2001, Ce Vieux rêve qui bouge, qualifié par Jean-Luc Godard de meilleur film à Cannes cette année-là, sont des contes protéiformes, ancrés autant dans les insondables mystères du désir que dans les faits concrets de la vie sociale.
Alain Guiraudie est un véritable original, une voix sui generis dans le cinéma contemporain, qui défie radicalement les catégories. Ses films sont, entre autres choses, des dissections franches et étonnantes du désir sous toutes ses formes et ils existent dans des mondes totalement imaginaires, suspendus entre utopie et réalité. »
«(...) taxinomiste de l'érotisme hétérodoxe, Alain Guiraudie a fait ses débuts au festival de Cannes avec sa dernière pastorale protéiforme, Rester Vertical. Dans le précédent film de Guiraudie, L'inconnu du Lac, un lieu de drague devenait scène de crime, amphithéâtre pour un duel entre les forces d'éros et de thanatos. Dans son nouveau film, le sexe et la mort fusionnent de manière encore plus spectaculaire dans une pièce qui mêle euthanasie, nécrophilie borderline et explosion de rock progressif à la Pink Floyd. Ce n'est là qu'une des rencontres en plein air de l'odyssée onirique du protagoniste du film, Léo (Damien Bonnard), un cinéaste en panne créatrice qui parcourt la campagne française dans sa Renault, en quête d'inspiration pour un scénario en retard et trouvant toutes sortes de stimuli charnels. Attiré par un jeune homme qui vit avec son tuteur bien plus âgé que lui (possiblement un amant), il se lance dans une liaison avec une bergère (India Hair), avec laquelle il a presque immédiatement un enfant.
Les films de Guiraudie sont des contes de fées contemporains, enracinés dans les évocations concrètes de sa région natale du sud-ouest de la France, mais sujets aussi à des éclairs de fantaisie et de libre association. Rester Vertical tourne autour d'un nombre limité de lieux – ferme, pâturage, route de montagne sinueuse, ville côtière grise –, tandis que ses personnages se réorganisent selon un schéma égalitaire du désir. Le grand sujet de Guiraudie est la liberté, que, peut-être jamais plus clairement que dans Rester Vertical, ses films abordent à la fois en terme de contenu et de forme. Offrant un regard décalé sur ce que la plupart des autres films appelleraient des questions de société (monoparentalité, suicide assisté), le film flirte également avec le mythique dans les interludes avec l'habitant guérisseur des marais ainsi que le spectre omniprésent des loups qui errent en périphérie. Le titre sonne à la fois comme un cri de ralliement et comme un jeu de mots douteux, alors que le film se veut avant tout une contemplation sur ce que signifie être un humain, un animal vertical. Le vaste spectre de la vie est ici présent, de la naissance filmée frontalement à la mort extatique, au sexe comme origine du monde (plusieurs plans font ouvertement référence à Courbet) et comme fin. (...) »
Dennis Lim dans Film Comment, juillet-août 2016
Dennis Lim est directeur de la programmation cinématographique au Lincoln Center (NY).