João Pedro Rodrigues

Ecole

Né en 1966 à Lisbonne, João Pedro Rodrigues est un réalisateur et scénariste portugais. João Pedro Rodrigues a récemment tourné un film intitulé L’ornithologiste, dont Le Fresnoy - Studio national est coproducteur. Le réalisateur présente ce long métrage dans la note d’intention qui suit. Le Fresnoy participera également à la réalisation d’un court métrage de João Pedro Rodrigues, à l’occasion d’une rétrospective qui lui sera consacrée fin 2016 au Centre Pompidou.

Se perdre donc. Etre perdu. Ne plus savoir ni par où aller, ni si l’on s’en sortira. 

«Saint Antoine est une figure incontournable de la culture et de la société portugaise. Saint le plus célébré au monde, son rayonnement et son aura ont une place particulière au Portugal, où il est le frère mineur, le Franciscain le plus connu. Né Fernando en 1190, à Lisbonne, son destin est lié au voyage et à la navigation. Aucun Portugais aujourd’hui n’ignore que saint Antoine, à son retour d’une mission d’évangélisation au Maroc, partit à la dérive et échoua dans le sud de l’Italie, accomplissant dès lors un parcours qui allait devenir légendaire jusqu’à son entrée dans Padoue, ville dont il prendra le nom et où il mourra en 1231. Aucun Portugais ne l’ignore et moi non plus. Il y a même encore d’autres choses, des dizaines, que je n’ignore pas, même sans le vouloir, sur ce personnage singulier. Des bribes de récits de tous les jours, des images qui se raccordent ou ne se raccordent pas, des miracles entendus, parfois déformés, des lieux, des faits, des symboles. Comme tout le monde, je sais pourquoi on l’invoque, à quelles occasions on le célèbre, et ce que porte son nom. Je reconnais sa figure dans les églises, dans l’art. Je l’ai en moi.

Ce «je l’ai en moi» est un constat froid, objectif. En aucun cas un signe de religiosité. En tant que Portugais, saint Antoine est une figure avec laquelle on cohabite, on négocie, envers laquelle on a parfois une sympathie, une aversion, pourquoi pas une curiosité. J’ai donc eu envie de voir comment et en quoi ce saint Antoine vivait en moi. Quel corps je pouvais reconstituer à partir de bribes glanées ici et là, de morceaux épars, puisqu’après tout, plusieurs éléments m’attiraient. Quel monstre, ressemblant ou pas, allait se façonner. Ce travail, j’ai d’abord décidé de le faire sans recherche, sans documentation, ni soucis d’exactitude. Avec les seules pièces de mon puzzle incomplet. Je savais que saint Antoine avait la capacité de comprendre instantanément toutes les langues, qu’il avait ressuscité un jeune homme d’un seul souffle magique, qu’il avait tenu l’enfant Jésus dans ses bras, que cette étreinte, il avait voulu la garder secrète. Je savais sa fascination pour la nature et les animaux, le fait qu’il avait abandonné noblesse et richesse pour ne garder que l’essentiel, mais qu’il en avait conservé la connaissance et l’érudition. Je savais qu’il avait été recueilli par des Franciscains lors de son naufrage dans le Sud de l’Italie, et je savais la légende du bateau à la dérive, bien sûr. C’est d’ailleurs cette dernière image, ce bateau perdu, ce bateau qui décide tout seul de la vie de son passager, qui allait me donner le début de mon histoire.

Se perdre donc. Etre perdu. Ne plus savoir ni par où aller, ni si l’on s’en sortira. J’ai finalement lu, appris, fouillé la vie de saint Antoine, dont j’avais déjà évoqué le mythe et les croyances populaires qui entourent sa commémoration dans Matin de la Saint-Antoine, mon court-métrage de 2012, coproduit par Le Fresnoy. Plus je le connaissais, plus il me semblait mystérieux et fascinant. J’ai donc eu envie à la fois de m’amuser, de réhabiliter certaines

beautés et d’égratigner son image lisse. Il fut en effet érigé en symbole de la famille et du mariage pendant la dictature de Salazar et cette image, construite de toutes pièces, lui colle à la peau. Le film est dès lors une ré-appropriation transgressive et volontiers blasphématoire de la vie du saint. Si certains passages de l’homélie prononcée en 1222 sont repris, ainsi que certains épisodes de sa vie, si je l’avais en tête constamment, la part d’imaginaire a pris du terrain au fil de l’écriture. C’est un esprit, une trajectoire qu’il insuffle au film et qui mène Fernando à sa nouvelle identité.»

João Pedro Rodrigues.