Joan Fontcuberta
Joan Fontcuberta (Barcelone, 1955) est artiste, essayiste, enseignant et commissaire d’expo-sitions. Son œuvre a connu des expositions au MOMA de New York (1988), à l’Art Insti-tute de Chicago (1990), à l’IVAM, de Valence (Espagne, 1992) ; au MNAC, de Barcelone (1999), à l’Artium de Vitoria (2003), à la Maison Euro-péenne de la Photographie, de Paris (2014), et au Science Museum de Londres (2014), entre autres. En 2013 Joan Fontcuberta a été récom-pensé par le Prix International de la Fondation Hasselblad. En 2020, il a été déclaré Docteur Honoris Causa de l’Université de Paris VIII.
Mon travail artistique démarre au début des années 70 : dans l’héritage libertaire et néo-dadaïste de 68, du structuralisme, la contre-culture...Tout ceci est vécu dans les derniers sursauts de la dictature franquiste, qui se nour-rissait de la répression, de la propagande et de la censure. Après mon passage à l’Université par des études de Communication, j’ai déve-loppé une courte expérience professionnelle dans la sphère du journalisme et de la publicité, qui s’est transformée peu à peu en militance artistique. J’étais passionné par les questions de critique du langage et des régimes de vérité, et la photographie m’apparaissait comme la discipline qui me procurait le champ d’explora-tion idéal, c’est-à-dire la photographie conçue comme avant-garde de l’industrie du faire croire. C’est sûrement pourquoi mes projets, plutôt que de s’inscrire dans une recherche esthétique, s’orientent vers le questionnement de la vérité conventionnellement acceptée dans l’image technique et, en général, dans l’informa-tion produite et diffusée par des moyens tech-nologiques. Conceptuellement, le dénominateur commun a été une réflexion sur la survivance de ce qui est documentaire en photographie, qui m’a conduit à spéculer sur des questions de représentation, connaissance, soupçon, mémoire, vraisemblance, ambigüité, paradoxe, trompe-l’oeil1 et fake².
Au fil du temps, ma production s’est mise à « monitoriser » l’évolution de la communica-tion visuelle en fonction, d’une part, des chan-gements historiques et politiques, et d’autre part, des avancées technologiques. Avec la révolution digitale il s’effectue une transition vers la post-photographie, caractérisée par la massification et la dé-matérialisation des images. Internet, les réseaux sociaux, la télé-phonie mobile, la messagerie instantanée, la prolifération de caméras de surveillance, etc..., engendrent une société hypermoderne marquée par la consommation, la quantifica-tion, l’excès et l’urgence. Le capitalisme des marchandises a été englouti par un capitalisme d’images, un état d’iconocratie. Que reste-t-il alors de la photographie à l’ère de la post-vérité et des selfies, des fenêtres indiscrètes de Facebook et des sirènes de la consommation, des émoticons et du spam ? Que reste-t-il de la photographie quand les algorithmes et l’intelli-gence artificielle détrônent l’hégémonie de l’œil et de la caméra ?
Au Fresnoy, je veux développer, en collabora-tion avec l’artiste Pilar Rosado, un projet que nous intitulons : Prosopagnosie. La prosopagno-sie est une anomalie de la mémoire, qui consiste en la difficulté de reconnaître les visages et de s’en souvenir. L’étude des causes de la prosopa-gnosie a servi de base aux programmes actuels de reconnaissance faciale. Dans notre projet nous voulons partir de datasets qui sont d’an-ciennes archives photographiques (par exemple les atlas physionomiques de François Bertillon) pour travailler avec les réseaux neuronaux GAN (Generative Adversarial Networks), et obtenir des séquences quasi-photographiques. En défi-nitive, il s’agit de concilier le statut ontologique des images et la culture de la prédiction, sur laquelle toute la contemporanéité est fondée.
Joan Fontcuberta