Vincent Dieutre

Ecole

Ancien élève de l’IDHEC et lauréat de la bourse « Villa Médicis Hors les Murs », Vincent Dieutre a résidé à New York et à Rome avant de se consacrer à la réalisation. Passionné par les rapports entre cinéma et art contemporain, il a tenté de les redéfinir dans ses écrits critiques (La Lettre du Cinéma, Politis, Mixt(e)), lors des cours qu’il a donné au département Cinéma de Paris VIII, à la Femis, ainsi qu’à l’occasion d’interventions dans d’autres écoles d’art, en France et à l’étranger. Il continue d’animer depuis 1997 les projections PointLignePlan à la Femis.

 

Depuis ses « Lettres de Berlin » (1988), Vincent Dieutre a exploré en tant que cinéaste les limites du documentaire et de l’autofiction. Ses deux premiers long-métrages « Rome désolée » (1996) et « Leçons de ténèbres » (2000),  ont affirmé son cinéma à la première personne. Les Films d’Europe, son cycle de long-métrages (Leçons de Ténèbres, Mon Voyage d’Hiver) ont connu un vif succès tant critique que public. Pour la « Lucarne » d’Arte, il a réalisé en 2001 « Bonne Nouvelle », une méditation urbaine sur son quartier et pour le GREC, « Entering indifference », un manifeste artistique en forme de lettre filmée (Quinzaine des réalisateur, Cannes 2001). En 2002, L’Atelier de Création Radiophonique lui  commande une première pièce sonore, « Bologna Centrale », qui, devenue film puis installation inaugure travail de plasticien qu’il continue encore aujourd’hui (dernière installation en date : Sakis : Un Tombeau) avec des performances et des Exercices d’Admirations (EA1 avec Naomi Kawase, EA2 autour de Jean Eustache, etc)


Son œuvre de cinéaste continue d’être présentée dans les grands festivals internationaux et dans les salles. Elle est d’ores et déjà entièrement disponible en DVD, et régulièrement diffusée sur Arte et sur le câble. Son film Jaurès (documentaire de création) l a remporté un Teddy Award à la Berlinale 2012 et le prix Caligari de la critique allemande. Vincent Dieutre prépare la sortie en salle d’Orlando Ferito (volet sicilien des « Films d’Europe », primé à Naples, Rome et Milan) …

Le lieu ouvrait. Personne n’y croyait vraiment, ça sentait encore la peinture et beaucoup se perdaient dans les dédales du magnifique chantier, les badges permettant la circulation dans les bâtiments fonctionnaient quand ils voulaient. Mais une chose était désormais irréversible : Il faudrait dorénavant compter avec Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains. On prédisait une « Villa Médicis au milieu des Corons », on balbutiait un lieu d’insurrection des possibles, une école et un laboratoire où viendrait se tramer cinéma, vidéo, installation, création numérique en réseau, danse, architecture et littérature. Bref l’ambition était énorme, foisonnante et nous étions aux avant-postes, cobayes méfiants et curieux d’une expérience pédagogique et artistique sans précédent. Les premiers étudiants étaient là, un peu sur la défensive, entrouvrant prudemment le soupirail qui leur donnerait à contempler du fond de la tristesse familière d’un Nord un peu abandonné à lui-même, le paysage d’un art mondial globalisé en pleine mutation. Ils venaient d’un peu partout, des personnalités s’affirmaient : Laurent Grasso, Anri Sala, Christelle Lheureux, Julien Loustau*.

Et voilà qu’une quinzaine d’années plus tard, je me retrouve à nouveau embarqué sur le navire devenu vaisseau long courrier. Le questionnement des disciplines, l’apprivoisement des technologies numériques par les artistes, sont devenus des évidences. Et comme école, et comme lieu d’exposition et de fabrication, Le Fresnoy a fait ses preuves : ce qui semblait une hétérotopie improbable et floue, est devenu une référence qu’on copie un peu partout dans le monde. Certains étudiants sont désormais des stars, d’autres des enseignants hors paire.

J’ai moi aussi fait mon chemin, du côté du cinéma, mais j’ai tout du long gardé en mémoire ce devoir de remise en cause, cette disponibilité au renouvellement des formes, qu’on privilégie au Fresnoy. Si je me méfie du statut de professeur, celui d’artiste invité me va donc plutôt bien. D’autant que le défi est double : accompagner les étudiants dans leur projet, leurs doutes, leurs références, mais aussi fabriquer quelque chose ici, quelque chose que je ne pourrais pas faire ailleurs. Le défi est doublé, le désir aussi.

Celui de me plonger dans des imaginaires neufs, de me frotter à des pratiques, à des goûts qui ne sont pas les miens, mais qu’il me faudra admettre, envisager. Tout artiste aguerri le sait : cette expérience est aussi indispensable à l’“élève“ qu’au “maître“ (osons la désuétude), d’autant plus en ces temps de révolution esthétique permanente…

L’autre défi est de penser un objet de cinéma susceptible de jouer au mieux des possibilités techniques, du savoir-faire indéniable de ceux qui y travaillent, et de l’énergie neuve des étudiants

Dans ma valise, une trilogie de formes courtes, trois textes syncopés en formes de “chat “ internet irrésolus, trois films que je situe dans un Nord indécidable, ce territoire urbanisé à mort, hyper-connecté au reste du monde, un Plat-Pays où n’est de relief que dans les up et les down de figures vacillantes. J’ai toujours rêvé ce projet du côté du Fresnoy de Tchumi, du Rotterdam de Koolhass, du Bruxelles d’Ann Veronica Jensen, des Flandres d’Alain Platel. L’invitation du Fresnoy - Studio national des arts contemporains me met en demeure de placer la barre au plus haut, tant dans la recherche numérique sur l’image, les fondus, sa saturation ou son effacement, que dans le travail quasi-musical sur les sons et les voix, l’environnement sonore comme matériau mélodique.

La production des films indépendants, si précaire, si fragile, nous interdit le plus souvent ce temps d’expérimentation, de recherche, d’errements et de repentirs, et j’ai le plus souvent pris le parti d’un langage cinématographique résolument classique pour dire la complexité de l’aujourd’hui. Le travail au Fresnoy, dans la patience d’un laboratoire collectif, dans le souci d’apprendre autant que d’enseigner, dans le luxe stimulant des technologies les plus audacieuses, scintille comme une promesse dans les difficultés croissantes de nos métiers. L’année sera Faste.

*(qui déjà écrivait pour la Lettre du Cinéma un texte superbe sur son « désir » de Fresnoy)…